La Ronde de Nuit par Rembrandt, hile sur toile, 1642 © Everett Collection - Shutterstock.Com.jpg
La Fiancée juive par Rembrandt, huile sur toile, 1665-69 ©  Everett Collection - Shutterstock.Com.jpg
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Autoportrait en apôtre Paul par Rembrandt, huile sur toile, 1661 © Everett Collection - Shutterstock.Com.jpg

La période de Leiden

Après quelques mois avec Pynas, Rembrandt retourne à Leiden où il monte son propre studio à l'âge de 18 ans. Son ami peintre, Jan Lievens, demeure son partenaire dans cette entreprise. Quelques années plus tard, Rembrandt recrute des étudiants, dont le futur peintre Gerrit Dou. Au cours de cette période de développement, Rembrandt exécute une série de peintures décrivant les cinq sens. Ce sont les premières œuvres du maître qui ont survécu et elles ont toutes la même taille. Elles sont peintes à l'huile sur des panneaux de chêne. Parmi les peintures à l'huile anciennes de Rembrandt, réalisées au cours de ce que les historiens de l'art appellent la période de Leiden (1625-1631), nous retiendrons principalement La Lapidation de saint Étienne (1625). Ce tableau très théâtral du martyre de saint Étienne, jeune diacre de la communauté chrétienne de Jérusalem, le représente lapidé par une vingtaine de bourreaux de l'assemblée du Sanhédrin, le grand conseil des chefs spirituels de la communauté juive, un épisode raconté dans le Nouveau Testament. La peinture est coupée diagonalement en deux, avec une partie dans l’ombre où se trouve l’un des chefs juifs, et une autre partie, qui baigne de lumière : Étienne qui est touché, semble-t-il, par la bonté divine ; l'effet de clair-obscur accentue son effet dramatique. Parmi la foule, Rembrandt s’est représenté lui-même, avec une certaine ambiguïté sur sa présence parmi les bourreaux qui laisse penser qu’il réglait ses comptes avec l’Église.

Les premières commandes

En 1629, Rembrandt peint ses premières grandes commandes pour le secrétaire d’État Constantjin Huygens et la cour de La Haye. Rembrandt suscite l’admiration du prince Frederik Hendrik, qui lui achètera de nombreuses peintures. Fin 1631, l’artiste s’installe à Amsterdam, ville dynamique en pleine croissance, où il commence à peindre des portraits. Dans La leçon d'anatomie du docteur Tulp, Rembrandt représente le professeur Nicolaes Tulp entouré d’autres chirurgiens en pleine action, qui observent tous des choses différentes. Le dynamisme de la scène est accentué par les grands contrastes entre la lumière et l’obscurité.

Le succès et la prospérité de Rembrandt

Ce tableau, qui remporte un succès considérable, lance le jeune Rembrandt sur la scène amstellodamoise. Les commandes affluent de toute part, dont Buste d'un vieil homme avec un chapeau noir et un gorget (1631), Portrait de la princesse Amalia van Solms (1632), Portrait de Mauritus Huygens (1632), et Une jeune femme avec un éventail (1633). Il épouse en 1634 une orpheline, Saskia van Uylenburgh, fille d'un avocat qui avait été maire de Leeuwarden. Rembrandt et sa femme ont deux enfants qui meurent peu après leur naissance, un fils en 1635 et une fille en 1638. Au cours de ces années, Rembrandt peint des thèmes bibliques et mythologiques sur de grands formats. Ces tableaux sont caractérisés par des couleurs très contrastées et une atmosphère dramatique. Les critiques voient l'influence de Rubens dans des œuvres telles que La Tempête sur la mer de Galilée (1633), La Fête de Belshazzars (1635) et L'Aveuglement de Samson (1636). Rembrandt achète une belle maison où il déménage avec sa femme en 1639, bâtisse que l’on peut visiter aujourd’hui dans l’ancien quartier juif d’Amsterdam (Rembrandthuis). Fort de son succès, il s’endette et achète de manière frénétique des œuvres d’art, des vêtements, des curiosités scientifiques et divers autres objets. Ces derniers lui servent pour les études d’après nature réalisées pour ses tableaux. Après la nouvelle perte d’un enfant nouveau-né l'année suivante, la femme de Rembrandt donne naissance à Titus qui survivra jusqu’à l’âge adulte. Cependant, Saskia succombe à la tuberculose en 1642, peu de temps après la naissance de ce dernier. Au cours des années 1640, les œuvres de Rembrandt deviennent plus sombres.

Les déboires de La Ronde de nuit

Son œuvre (de très grand format) La Ronde de Nuit (1642) compte parmi ses plus importantes commandes de l’époque et l’un des tableaux les plus célèbres de l’âge d’or néerlandais. Ce tableau dépeint la milice bourgeoise des Kloveniers d’Amsterdam qui sillonne la ville pour protéger leurs clients. Cette milice est le commanditaire direct de la toile, or ses clients sont furieux, car la troupe est désordonnée, aucune unité ne se dégage de ces arquebusiers qui semblent davantage fêter leur gloire que poser pour la postérité de manière hiératique. Même le capitaine Frans Banninck Cocq et le lieutenant Willem van Ruytenburch, malgré leur pouvoir et le respect dont ils bénéficient, semblent en pleine tirade sur la scène d’un vaudeville… Tous regardent de part et d’autre, au lieu de fixer le même horizon. Ils semblent en mouvement alors qu’on ne distingue aucun ordre de commandement. La compagnie est également plongée dans un clair-obscur inhabituel pour un tableau de genre. Et à part Frans Banning Cocq dans son habit noir et Willem van Ruytenburch en dentelles blanches, c’est à peine si on les reconnaît sur le tableau. Cette milice est loin d’être aussi flamboyante et pleine de panache comme cela aurait dû être dépeint et elle semble bien plutôt être un regroupement de bouffons. La raison du mépris rencontré par Rembrandt en fait aujourd’hui le témoignage de sa modernité.

La ruine de Rembrandt

Dans les années qui suivent, les commandes se font plus rares. Rembrandt doit faire face à des difficultés financières aggravées par les dépenses inconsidérées que lui occasionne sa collection de tableaux. Néanmoins, il expérimente l'éclairage frontal et diversifie ses compositions, comme en témoignent Une femme au lit (1643), Une fille à la fenêtre (1645) et Une femme se baignant (1654). Le peintre explore également le travail au pinceau et se consacre davantage aux eaux-fortes et aux paysages. Après une longue relation avec Geertje Dircx, la nourrice de son fils, qui donne lieu à un procès contre l'artiste, Rembrandt et son ancienne femme de chambre, Hendrickje Stoffels, ont une fille en 1654. Le peintre s’attire les foudres de l’Église calviniste. Il se tourne alors vers sa rivale, la secte mennonite. Dans les années 1650, le maître imprègne son art d’une palette plus riche et plus colorée. Son style s’éloigne de plus en plus des standards de l’art, certains critiques dénonçant la dureté de ses coups de pinceau. Des œuvres telles que Une vieille femme qui lit (1655) et Hendrickje Stoffels (1654-1659) illustrent la maîtrise par l'artiste de l'utilisation de la lumière. Ses achats incessants d’œuvres d'art, estampes et objets rares, le ruinent et il fait faillite en 1656. Rembrandt revend une grande partie de sa collection, notamment des chefs-d'œuvre d'autres artistes, des antiquités asiatiques et des collections de minéraux, et sa propre maison ainsi que sa presse pour éviter les poursuites judiciaires. Il est également persona non grata de l’Amsterdam Painters Guild, qu’il a intégré en 1634, qui lui interdit de vendre ses œuvres au sein de la corporation. Il quitte alors sa demeure de la Jodenbreestraat pour la discrète maison du Rozengracht, dans le Jordaan, où il continue de peindre avec le même acharnement (Saül et David, L’Enfant prodigue…). Vient alors une courte période de répit. Pour remédier à cette situation dramatique, son épouse, Hendrickje, avec son fils Titus, ouvre un commerce d'art en 1660, et engage Rembrandt comme employé. Les commandes arrivent de nouveau, et le maître retrouve une certaine prospérité. Mais, fidèle à son habitude, il refuse de retoucher ses œuvres, ce qui lui vaut des relations orageuses avec ses commanditaires. En 1661, Rembrandt reçoit une commande pour le nouvel hôtel de ville, mais cette œuvre, La Conspiration de Claudius Civilis, est alors jugée inacceptable et renvoyée à son auteur. Hendrickje meurt en 1663, suivi de Titus en 1668. Rembrandt s’éteint un an après son fils, en octobre 1669, ruiné, solitaire et dans l’indifférence générale. Il est enterré comme les pauvres dans une tombe de Westerkerk, une église réformée hollandaise protestante à Amsterdam.

La Fiancée juive

Parmi ses dernières œuvres, achevées juste avant sa mort, figurent plusieurs autoportraits, dont La Fiancée juive (vers 1665-1669), un tableau considéré comme un de ses plus grands chefs-d’œuvre. Cette dernière œuvre est surnommée ainsi au XIXe siècle lorsqu’un collectionneur d’art néerlandais croit identifier un père et sa fille le jour de son mariage. Cette interprétation n’est plus actuelle et l’identité du couple est incertaine en raison du manque de détails anecdotiques de ce tableau. De nombreuses spéculations ont eu cours sur ce couple. Rembrandt a-t-il peint son fils Titus et sa femme ? Ou bien est-ce qu’il s’agit du poète juif amstellodamois Miguel de Barrios et de sa femme Abigaël de Pina ? Il pourrait également s’agir de personnages de l’Ancien Testament que Rembrandt aurait voulu représenter : Abraham et Sarah, Boaz et Ruth, ou Isaac and Rebecca ?

Le diptyque Marten et Oopjen

Quant à l’autre couple mythique, peint à l’âge de 28 ans dans la période heureuse de Rembrandt, le diptyque Marten et Oopjen, réalisé en 1634 à Amsterdam, à la demande du jeune couple marié, Marten Soolmans et Oopjen Coppit, est acheté début 2016 conjointement par les Pays-Bas et la France, pour la somme de 160 millions d’euros. Cette acquisition de nature inédite permet désormais de présenter conjointement au public les portraits, alternativement au Rijksmuseum et au Louvre. Tous deux d’une hauteur supérieure à deux mètres, ces tableaux sont restés la propriété de particuliers pendant près de 400 ans. Sa vente a donné lieu à une véritable bataille médiatique entre les deux musées qui ont fini par s’entendre et surtout réunir la somme demandée. Les portraits ont ensuite été rénovés en 2017. Grâce aux images du scanner, les conservateurs ont découvert que les deux portraits avaient été peints en même temps – contrairement à ce qui avait été pensé auparavant – et que Rembrandt a recouvert d’un grand rideau ce qu’il avait imaginé d’abord comme un porche ou une porte arrondie, sans doute pour donner plus d’unité au diptyque. Par ailleurs, l’étude a été poussée si loin que l’on sait désormais que la toile des deux tableaux provient de la même et unique étoffe, la plus large que Rembrandt n’ait jamais utilisée.

Les 350 ans de la mort de Rembrandt et sa postérité

Deux ans après cette restauration digne d’une enquête policière, en 2019, les Pays-Bas célèbrent les 350 ans de la mort de Rembrandt. Le Rijksmuseum propose alors au public ce qui est la plus grande collection muséale d’œuvres de Rembrandt : soit quatre cents œuvres. La Ronde de nuit, l’énigmatique Fiancée juive et les portraits de Marten et Oopjen figurent parmi les chefs-d’œuvre exposés. En juillet 2019, La Ronde de nuit a également été restaurée sous le regard des visiteurs au sein du Rijksmuseum. Partant du constat que certains éléments du tableau étaient décolorés (comme le chien en bas à droite) du tableau, les restaurateurs ont fait appel à des scientifiques dotés d’instruments permettant d’obtenir des images de très haute résolution. Il y avait plus de 40 ans que cette toile n’avait pas été restaurée depuis les actes de vandalisme de 1975 durant lequel le tableau avait été tailladé au couteau. Cette toile a été par ailleurs au centre du film biographique de Peter Greenaway, La Ronde de nuit, sorti au cinéma en 2008. Le film situe l’action en 1654, à Amsterdam : Rembrandt se réveille en sursaut, il vient de rêver qu'il est aveugle. Ce cauchemar le replonge 12 ans en arrière, en 1642, alors qu’il doit répondre à la commande. La postérité de ce tableau fait aujourd’hui l’unanimité, Rembrandt peut enfin reposer en paix. Aujourd’hui, on peut admirer ses principales œuvres au Rijksmuseum, au Mauritshuis qui détient notamment La leçon d’anatomie du Dr Nicolaes Tulp et plusieurs autoportraits, ainsi qu’en France, au Louvre, où une salle entière lui est consacrée avec des œuvres de la maturité, notamment sa Bethsabée au bain tenant une lettre de David de 1654, un nu sublime, au visage entièrement imaginé, peint d’après nature et inspiré du récit biblique de l’amour de David pour Bethsabée qui déjà marié sera punie par Dieu.